Imprimer
Affichages : 93049

Vote utilisateur: 4 / 5

Etoiles activesEtoiles activesEtoiles activesEtoiles activesEtoiles inactives
 

Histoire de la notion de matrices et des déterminants.

La notion de matrice apparaît progressivement, après la notion de déterminant en fait. Il faut attendre que la théorie des espaces vectoriels se développe pour que la notion de matrice actuellement utilisée (comme application linéaire) fasse surface.

1 - Définition actuelle.
2 - Les travaux de LEIBNIZ (1646-1716) en 1683.
3 - GAUSS Carl Friedrich (1777-1855) et les formes linéaires : la notation matricielle.
4 - CAUCHY (1789-1857) et les formes quadratique en 1826.
5 - Opérations sur les matrices : EISENSTEIN Ferdinand Gotthold Max (1823-1852) en 1844 (produit, inverse, addition).
6 - Naissance du concept de matrice en 1858 : CAYLEY (1821 - 1895) et SYLVESTER (1814-1897).
7 - Les notations utilisées pour désigner une matrice.
8 - Compléments : matrices particulières après 1850 et FROBENIUS Ferdinand Georg (1849-1917).


 Définition actuelle. [MonAl1] p 266

On appelle matrice à n lignes et p colonnes, et à éléments (ou coefficients) dans IK toute application de {1,...,n} × {1,...,p} dans IK.
Une application A : {1,...,n} × {1,...,p} → IK est noté sous la forme : A = (aij) 1≤ i ≤n , 1≤ j ≤p

matrice

On note Mn,p(IK) l'ensemble des matrices à n lignes et p colonnes, et à éléments (ou coefficients) dans IK .

Matrice et application linéaire.

Soit E un IK-ev de dimension p, et de base B = (e1,...,ep).
Soit F un IK-ev de dimension n, et de base C = (f1,...,fn).
Soit f une application linéaire de E dans F, on note f ∈L(E;F)
Pour 1 ≤ j ≤ p ; on note (aij,...,anj) les composantes de f(ej) dans la base C : f(ej) = ∑aij.fi ( pour i de 1 à n )

On appelle matrice de f relativement aux bases B et C, notée Mat B,C ( f ) , la matrice de Mn,p(IK) définie par : MatB,C ( f ) = (aij)

Haut de page


Histoire de la notion de matrice.

 

2 - Les travaux de LEIBNIZ (1646-1716) en 1683.


Les concepts de déterminants et de matrice sont historiquement très liés. Ils proviennent en fait de l'étude durant le 18ème siècle des systèmes d'équations linéaires.
Dès 1678, le mathématicien allemand LEIBNIZ Gottfried Wilhelm (1646-1716) les aborde et utilise la notation avec indices dans le cas d'un système de 3 équations à 2 inconnues. [DaDaPe] p 281

L'historien Jean BAUDET ([Baudet] p 195) précise que c'est dans un texte de 1683 (ayant peu d'influence sur la communauté scientifique) que LEIBNIZ aborde le sujet.

LEIBNIZ fait la remarque suivante : Le système 3×2 (3 équations, 2 inconnues) : système Leibniz

est tel que : 10×21×32 + 20×31×12 + 30×11×22 = 30×21×12 + 10×31×22 + 20×11×32. 
Il précise que cette égalité est la condition de possibilité de résolution du système.

Remarque : Ceci correspond en fait au développement du déterminant 3×3 avec la règle dite de SARRUS. Le calcul d'un déterminant 3×3 donne avec la règle de SARRUS :
Det (A ) = diagonales descendantes - diagonales montantes = 0

matrice Leibniz

Cette découverte de LEIBNIZ a peu de conséquences et le mathématicien suisse, CRAMER Gabriel (1704-1752) découvre sa méthode de résolution dans des papiers de 1774. Ses travaux sont poursuivit par les françaisVANDERMONDE Alexandre Théophile (1735-1796), puis LAPLACE Pierre Simon, marquis de (1749-1827) qui ont l'idée de définir un déterminant d'ordre n par récurrence sur n en le développant par rapport à une ligne ou une colonne.

Haut de page

3 - GAUSS Carl Friedrich (1777-1855) et les transformations linéaires.


Les transformations linéaires sont étudiées sous le nom de substitutions linéaires par le mathématicien français LAGRANGE Joseph Louis (1736-1813) (pour les formes quadratiques à 2 variables) et le mathématicien allemand GAUSS Carl Friedrich (1777-1855) (pour les formes quadratiques à 3 variables).
GAUSS aborde la théorie des formes dites ternaires et pour représenter la substitution linéaire qui remplace ( x ; y ; z ) par (ax+by+cz ; a'x+b'y+c'z ; a''x+b''y+c''z ) il utilise pour la première fois une notation en tableau proche de la notation matricielle. Il l'abrège d'ailleurs en une seule lettre S.

Il note alors explicitement que si l'on fait successivement la substitution S, et la substitution T, le résultat est identique si l'on avait fait la substitution, notée pour nous SxT mais qu'il ne note pas ainsi (il faudra attendre les travaux de l'allemand EISENSTEIN Ferdinand Gotthold Max (1823-1852) en 1844 pour cela, voir 5°) )

Il évoque donc sans la nommer, la multiplication de deux matrices carrées 3x3, et il est probable que c'est ce passage de GAUSS qui influencera CAUCHY (1789-1857) pour sa définition de la multiplication de deux matrices.[Dieudo] p62

Haut de page

4 - CAUCHY (1789-1857) et les formes quadratiques en 1826.


Pour préparer son enseignement à l'école polytechnique, le mathématicien français CAUCHY Augustin-Louis (1789-1857) reprend, en 1826, le problème de réduction d'une quadrique à ses axes.

[DaDaPe] précise la problématique de CAUCHY.
CAUCHY étudie une quadrique (surface du second degré) dont le centre est pris comme origine.
Cette quadrique est d'équation : Ax² + By² + Cz² + 2Dyz + 2Ezx + 2Fxy = K.

Cherchant à en déterminer les axes principaux, il obtient une équation exprimant qu'un certain déterminant Δ est nul.

Ce Δ constitue le polynôme caractéristique de la matrice de la forme bilinéaire associée à la forme quadratique.
Il démontre que les racines de ce polynôme (i. e. les valeurs propres de la matrice) sont réelles. Puis il montre que ce polynôme est indépendant de tout changement d'axes rectangulaires (i.e. les transformations semblables ont même valeurs propres).

Haut de page

5 - Opérations sur les matrices : EISENSTEIN Ferdinand Gotthold Max (1823-1852) en 1844.


Dés ses premiers travaux sur la théorie des nombres en 1844, le mathématicien allemand EISENSTEIN Ferdinand Gotthold Max (1823-1852) s'approprie et utilise le symbolisme en tableau de son compatriote GAUSS Carl Friedrich (1777-1855).

La notation produit de deux matrices. [Dieudo] p95
Il va cependant plus loin puisqu'il note la composée des deux substitutions citées ci-dessus par le symbole commode SxT. Par exemple la composée des substitutions S et T est notée SxT.

Il précise que l'on peut généraliser ces notions et notations à un nombre quelconque de variables.
En outre il indique qu'il faut distinguer SxT et TxS, la non commutativité du produit matricielle est donc bien acquise.
Le mathématicien BINET Jacques Philippe Marie (1786-1856) établit, sans le justifier correctement, l'expression du terme général du produit de deux matrices. [HaSu] p 39

L'inverse d'une matrice[Dieudo] p95
Puis EISENSTEIN (1823-1852) introduit la notation 1/S quand S a un déterminant non nul (la notion d'inverse de matrice).

L'addition de matrices[Dieudo] p95
Dans un papier de 1850, il indique que l'on peut additionner les substitutions linéaires mais il n'utilise pas cette notion (et ne donne aucune notation associée).

Ferdinand EISENSTEIN (1823-1852) a donc pratiquement défini le concept de matrice carrée, d'ailleurs le mathématicien français HERMITE Charles (1822-1901) utilise à la même époque, dans ses travaux sur la Théorie des nombres et des fonctions abéliennes, le même symbolisme.

Haut de page

6 - Naissance du concept de matrice en 1858: CAYLEY et SYLVESTER.


On considère souvent le mathématicien anglais CAYLEY Arthur (Richmond 1821- Cambridge 1895) comme l'inventeur des matrices. 
Lorsqu'il les introduit, le déterminant existe déjà, noté en tableau depuis 1815 à l'initiative de CAUCHY Augustin-Louis (1789-1857).
CAYLEY et SYLVESTER James Joseph (1814-1897) travaillent en collaboration pendant près de 30 ans (en algèbre).

Le terme de matrice.
Le terme de matrice est introduit par SYLVESTER en 1850 pour désigner un tableau rectangulaire de nombres (qu'il ne pouvait pas appeler déterminant) .

Les matrices, une entité distincte des nombres.
Mais c'est avec la publication par CAYLEY, en 1858, d'un article des Philosophical Transactions (Londres) : A memoir on the Theory of Matrices, que la notion de matrice prend tout son sens. 
Les matrices deviennent alors une entité distinctes du déterminant et sont étudiées comme telle. ( [DaDaPe] p 284, [Baudet] p 197 et [Dieudo] p96)

Les résultats de HAMILTON William Rowan (1805-1865) sur les quaternions incitent CAYLEY à discuter des propriétés caractéristiques des opérations sur les matrices (associativité, addition, condition de commutativité de la multiplication). Il traite également le cas des matrices rectangulaires et des cas ou leur produit est possible. 
Il considère qu'une matrice n'est qu'une notation abrégée pour une substitution linéaire (comme pour GAUSS). 
Il construit ainsi formellement de nouvelles entités (qui ne sont pas des nombres) et qui ont des propriétés particulières. [DaDaPe]

CAYLEY se contente dans un premier temps d'étudier les matrices (2,2) et (3,3), mais affirme que tout cela s'étend aux matrices rectangulaires d'ordre (p, n). Il définit la somme et le produit de deux matrices, la transposée, donne l'inverse d'une matrice (3,3) à l'aide des cofacteurs et introduit les matrices symétriques et antisymétriques.


Equation et polynôme caractéristiques.
CAYLEY introduit l'équation caractéristique d'une matrice, énonce ce que nous appelons maintenant le théorème de Cayley-Hamilton. 
Dans ce théorème, il exprime le fait qu'une matrice carrée A vérifie l'équation polynomiale X(A) = 0 ou X(λ ) = det(A - λId) est le polynôme caractéristique de A. Il ne démontre ce théorème que pour n=2 et n=3 ([Dieudo] p96)

Il semble toutefois que ce travail soit resté dans l'ombre jusqu'à 1880, tout comme celui de LAGUERRE Edmond Nicolas (1834-1886) de 1867 qui propose une théorie des matrices similaire à celle de CAYLEY ([Dieudo] p 96)

Haut de page

7 - Les notations utilisées pour désigner une matrice.


Les notations utilisées.
L'historien des sciences CAJORI, spécialisé dans l'histoire des symboles mathématiques, présice que les notations de CAYLEY en 1858, dans son article des Philosophical Transactions (Londres) : A memoir on the Theory of Matrices, sont les suivantes [Cajo] :

matrice_cayley1

matrice_cayley2

Puis, par exemple, le mathématicien américain WEDDERBURN Joseph Henry Maclagan (1882-1948) dans Lectures on Matrices (1934) utilise les notations en double barres.

Haut de page

Complément : les matrices particulières après 1850.


En algèbre au 18ème siècle, l'objectif principal des mathématiciens est la recherche de transformations linéaires permettant de ramener des formes quadratiques (∑aii xi² + ∑aii aij.xi.xj , pour 1 ≤ i < j ≤ n ) à 2 ou 3 variables à des types simples.
On cherche donc à classes ces formes quadratiques par des invariants caractérisant ces formes réduites.
EULER Leonhard (1707- 1783) obtient en géométrie sa classification des quadriques, et LAGRANGE et GAUSS développe leur théorie des formes binaires en arithmétique (ax² + bxy + cy² = n, avec a,b,c,n, x et y entiers). ([Dieudo] p 97 et p 165).

A partir de 1850, commence la recherche, pour les formes bilinéaires, des invariants par substitutions linéaires ayant des matrices inversibles U, V. [Dieudo] p 97

On considère des formes de type : ∑1 ≤ i ≤ m ∑1 ≤ j ≤ naij . xi . xj que l'on écrit sous forme matricielle tx . A . y

Une substitution linéaire s'écrit en termes de matrices : x = U . x' et y = V . y' avec U ,V des matrices carrées d'ordres m, n

Plusieurs cas sont étudiés alors :

  • Si A matrice carrée symétrique réelle[Dieudo] p 98
    C'est le premier problème étudié dont le problème de réduction est celui d'une forme quadratique C.L. de carrés avec des coefficents ± 1. 
    Parallèlements, le mathématicien allemand JACOBI Carl Gustav Jacob (1804-1851) et l'anglais SYLVESTER James Joseph (1814-1897) prouvent vers 1850 que le nombre de coefficients +1 et -1 sont toujours les même pour toute les formes réduite. C'est ce que l'on nomme maintenant le théorème ou loi d'inertie de SYLVESTER.
  • Si A matrice carrée hermitiennetA = conj( A ) ) [Dieudo] p 98

    En 1855, le français HERMITE Charles (1822-1901), au cours de ses recherches arithmétiques, introduit les formes dites hermitiennes, pour lesquelles la loi d'inertie de SYLVESTER se généralise.


Ces différentes études permettrons l'introduction d'autres matrices, sans trop entrer dans les détails on voit aussi apparaître : 

  • Les matrices orthogonales.
    En 1854, le mathématicien français HERMITE Charles (1822-1901) introduit les matrices orthogonales et montre que les valeurs propres d'une matrice hermitienne sont réelles. [HaSu] p167

C'est entre 1877 et 1880 que le mathématicien allemand FROBENIUS Ferdinand Georg (1849-1917), avec plusieurs mémoires publiés entre 1877 et 1878, joue le rôle de législateur dans la théorie des matrices. Il reprend plusieurs résultats de ses prédécesseurs, les développe et les complète. [Dieudo] p 99 et [Gueridon] p 106